Interview : les ambitions d'Akitoshi Kawazu

Le 28 octobre 2012 à 21:47 par Bastien 0 commentaire


À l'occasion d'une semaine spéciale consacrée aux jeux vidéo les plus mystérieux, le site américain 1UP a interrogé le producteur Akitoshi Kawazu au sujet de la particularité des RPG qu'il a conçu. Comme vous le savez, Kawazu a commencé sa longue carrière chez Square comme designer pour Final Fantasy en 1987. Cet entretien très intéressant revient sur ses premières expériences en matière de créateur, puis sur ses ambitions avec les séries Final Fantasy et SaGa. Si vous souhaitez en savoir plus sur l'homme et ses récents projets, n'oubliez pas de lire le compte rendu de ma rencontre avec lui, il y a quelques années, à l'occasion de la sortie de The Crystal Bearers. Bonne lecture !


Comment êtes-vous arrivé dans l'industrie du jeu vidéo ?

Akitoshi Kawazu : J'ai commencé comme journaliste dans un magazine spécialisé.

C'est vrai ? Lequel ? Je ne savais pas que nous avions cela en commun.

Akitoshi Kawazu : Il ne paraît plus désormais, mais c'était un magazine de Softbank intitulé « Beep ».

Je suppose que c'était un magazine dédié aux jeux PC ?

Akitoshi Kawazu : En fait, c'était une sorte de magazine généraliste, qui traitait également des jeux Arcade.

De nos jours, il est assez coutumier de passer de la presse vidéoludique au développement de jeux, mais vous avez probablement été l'un des premiers à le faire.

Akitoshi Kawazu : En y repensant, dans le même bureau, beaucoup d'autres ont suivi mon chemin et travaillent désormais dans l'industrie du jeu vidéo. C'était comme ça, à l'époque.

Quel a été l'élément déclencheur qui vous a décidé à faire des jeux plutôt que d'écrire à leur sujet ?

Akitoshi Kawazu : Quand j'étais petit déjà, je faisais... non pas des jeux d'ordinateur, mais des jeux de société. J'ai toujours été intéressé par la création de jeux. Devenir un journaliste spécialisé n'était pas mon ambition première. Un ami m'a encouragé à le faire, c'est ce qui m'a motivé, mais j'ai toujours été intéressé par la création de jeux.

Square a-t-il été le premier studio pour lequel vous avez travaillé ?

Akitoshi Kawazu : Oui, le premier.

Quel a été le premier projet sur lequel vous avez travaillé chez Square ?

Akitoshi Kawazu : Rad Racer. À la fin du jeu, quand le système indique quelle distance vous avez parcourue, représentée par des points... Ces points, c'est moi qui les ai réalisés !

Avez-vous travaillé sur les deux Rad Racer ?

Akitoshi Kawazu : Je ne me souviens même pas... (Rires) Probablement juste le premier.

C'était un jeu avec des graphismes en 3D. Avez-vous pensé à le porter sur Nintendo 3DS ?

Akitoshi Kawazu : C'est peut-être un peu trop daté maintenant. (Rires) La 3D dans Rad Racer II utilisait une technologie particulière.

Oui, les lunettes avec les caches. En Amérique, nous n'avons jamais eu les caches, mais nous avons eu le jeu, avec des lunettes en papier.

Akitoshi Kawazu : Oui. mais la 3DS ne peut pas gérer la technologie de ce jeu, nous ne pouvons donc pas en faire un remake.


Vous avez parlé tout à l'heure de création de jeux de société avant les jeux vidéo. En avez-vous déjà sorti un, ou étaient-ils simplement des jeux créés pour vous-même ?

Akitoshi Kawazu : Je les faisais pour moi uniquement, oui.

À quel genre de jeux de société aimiez-vous jouer ?

Akitoshi Kawazu : J'aimais les jeux de guerre, principalement. Les éditeurs comme Avalon Hill par exemple. J'ai joué à de nombreux de leurs jeux de stratégie de guerre.

Étiez-vous adepte de jeux de rôle comme Dungeon & Dragons ?

Akitoshi Kawazu : Oui.

J'ai l'impression de ressentir toutes ces influences dans votre travail. Notamment dans Unlimited Saga, qui s'inspire beaucoup des jeux de société.

Akitoshi Kawazu : Oui. Quand je conçois des jeux, j'analyse de près les éléments des jeux de société et comment ils fonctionnent. C'est la base de nombreux jeux vidéo que je réalise.

Lorsque vous avez été amené à travailler sur la série Final Fantasy, quel rôle avez-vous joué dans le développement du jeu original ? Comment votre amour pour les jeux de plateau et les jeux vidéo vous a aidé à façonner votre travail chez Square ?

Akitoshi Kawazu : Pour le premier Final Fantasy, Hironobu Sakaguchi avait donné comme consigne « Faisons un RPG. » Je ne sais pas vraiment dans quelle mesure Dragon Quest a influencé cette décision, mais une chose est certaine, quand Dragon Quest est sorti, nous avions la preuve que les RPG pouvaient bien se vendre au Japon. Monsieur Sakaguchi voulait faire un RPG depuis longtemps avant cela, mais il n'avait jamais eu l'autorisation de Square, qui lui répondait : « Nous ne savons pas si cela se vendra. » Mais avec Dragon Quest, qui était la preuve qu'un jeu de ce genre pouvait être un véritable succès, nous avons eu l'opportunité de le faire. Tout a commencé ainsi.

Nous étions tous de grands fans de Wizardry et Ultima par le passé. Même quand Dragon Quest est sorti, dans nos esprits, ce n'était toujours pas comparable à ces deux jeux. C'est le genre de jeux par lequel Sakaguchi, Tanaka et moi-même étions intéressés. En ce qui me concerne, j'étais en charge du système de combat et des séquences d'affrontements. Pour cela, j'ai essayé de les calquer sur Dungeons & Dragons. C'était mon but.


En tant que jeu de plateau, Dungeons & Dragons repose fortement sur le facteur humain. La façon dont le jeu se déroule, le maître du jeu, le maître du donjon, qui guident les joueurs... À quel point était-il difficile de recréer cette expérience de combat avec les limitations techniques de la Nintendo ?

Akitoshi Kawazu : Je n'avais pas besoin de simplifier tant que cela, mais il y a certains principes à respecter. Comme « les zombies sont faibles contre le feu », ou « les monstres de feu sont vulnérables à la glace ». Si vous y pensez, c'est assez logique, et ce sont des choses que Dongeons & Dragons a initié. Certains éléments sont faibles ou forts contre d'autres, tous ont des rapports de puissance. Jusqu'à cette époque, les RPG japonais 'incorporaient pas ces éléments. J'ai trouvé cela dérangeant, et aussi simple que cela puisse paraître, c'était le genre de choses sur lequel je voulais travailler. Évidemment, il allait être difficile de simuler l'expérience humaine d'un maître du jeu et les interactions des joueurs. Cela ne m'inquiétait pas vraiment, mais je voulais incorporer ces principes des jeux de rôle occidentaux dans le jeu.

J'ai l'impression que le premier Final Fantasy regorgeait de nombreux éléments méconnus. Des choses que l'on peut faire en combat, comme utiliser certaines armes en tant qu'objets pour lancer des sorts. Ces éléments faisaient-ils partie des choses que vous souhaitiez apporter afin de se rapprocher des RPG occidentaux ?

Akitoshi Kawazu : L'explication la plus simple, c'est que Wizardry avait déjà intégré ce genre d'éléments. Jeter des étoiles lançait le sort Hâte, par exemple. Le sort le plus puissant de Knight of Diamonds pouvait être lancé avec un certain gantelet. Ces éléments m'ont paru vraiment amusants et attractifs, j'ai donc décidé de les incorporer dans notre jeu également.

J'ai le sentiment que les classes de personnages que vous avez incluses au début du jeu ont un impact considérable sur la façon dont on joue au reste du jeu. Pouvez-vous nous en parler ?

Akitoshi Kawazu : Je suis convaincu que l'amusement dans un RPG commence dès la création du personnage. Je ne ressentais pas le besoin de proposer une équipe de base au début du jeu. Je voulais que les joueurs aient la possibilité de choisir quatre mages noirs ou quatre guerriers s'ils le souhaitaient. À cette époque, on ne pensait pas autant à ces choses là. L'idée, c'était de laisser les joueurs prendre le contrôle. S'ils choisissaient une équipe composée uniquement de mages blancs, ils ne peuvaient probablement pas terminer le jeu, mais nous n'étions pas vraiment préoccupés par l'équilibre du jeu.

En fait, je connais des joueurs qui ont terminé le jeu avec quatre mages blancs. Avec une équipe de voleurs, aussi... Vous indiquez que le plaisir d'un RPG commence dès la création des personnages, mais pour les Final Fantasy suivants, vous n'avez pas laissé cette possibilité. Il y avait quatre personnages, et quelques membres invités, sans classes ni spécialisations. Pouvez-vous parler du système de compétences tout à fait particulier développé pour Final Fantasy II ?

Akitoshi Kawazu : Il y a deux raisons à cela. La première, c'est que nous souhaitions faire un épisode très scénarisé pour Final Fantasy II. Évidemment, nous avions besoin de personnages particuliers pour tenir des rôles précis dans l'histoire. Quand vous laissez la possibilité au joueur de créer des personnages, ils ne collent pas forcément au scénario. C'est la première raison. La seconde... C'est notre ambitions de travailler sur l'évolution plutôt que la nature même des héros. Vous ne choisissez pas qui vous êtes au début, vous faites grandir les personnages, en quelques sortes. Ils prennent ensuite une certaine direction selon vos choix. Si un personnage utilise beaucoup de magie, il deviendra naturellement magicien. Ce n'est pas une décision que vous prenez au début de la partie. La construction des personnages se déroule tout au long du jeu.


Aviez-vous anticipé la façon dont les gens abuseraient de ce système ? En attaquant leurs propres personnages pour devenir plus forts par exemple ?

Akitoshi Kawazu : (Rires) Non, je n'en avais aucune idée. Je ne pensais pas que les joueurs utiliseraient cela pour monter en niveau. Quand un personnage subissait l'altération d'état Sommeil, il paraissait normal de le frapper pour le réveiller plus rapidement, c'est la raison pour laquelle j'ai intégré cette possibilité. Mais je n'imaginais pas que ça deviendrait un moyen d'accroître les compétences des combattants.

Est-ce la raison pour laquelle Final Fantasy III intégrait un système de classes plus traditionnel ?

Akitoshi Kawazu : Je ne sais pas vraiment pour Final Fantasy III, car je n'étais pas impliqué. Final Fantasy II utilisait le système de combat que j'ai conçu, assez éclectique. Éclectique parce que je l'ai fait et personne d'autre ne pouvait reprendre le flambeau après cela, c'était trop compliqué. (Rires) C'est pourquoi le système a changé.

Le projet suivant sur lequel vous avez travaillé après Final Fantasy II était... ?

Akitoshi Kawazu : SaGa.

J'ai toujours vu SaGa comme un successeur spirituel de Final Fantasy II sur bien des aspects. Est-ce que l'on peut le considérer comme tel ?

Akitoshi Kawazu : Je trouvais que c'était une aubaine de développer une nouvelle série avec une identité différente de Final Fantasy. Au lieu de penser à des relations avec Final Fantasy, je souhaitais faire des choix qui n'auraient pas été pris ou n'auraient pas pu l'être dans Final Fantasy. Tout ça, dans un nouveau titre. Mais, ceci dit, j'ai appris beaucoup en travaillant sur Final Fantasy II, comme les coups portés aux alliés par exemple. Bref, les choses que je n'avais pas prévues. J'ai incorporé tout cela dans SaGa, tout en faisant quelque chose de nouveau.

Quand je dis successeur spirituel, je veux dire... En quelques sortes, SaGa a un système basé sur la condition des personnages, mais il dispose aussi d'un système de races, avec des classes. Il combine le travail effectué sur Final Fantasy et prend de nouvelles directions.

Akitoshi Kawazu : L'idée était de prendre le système de Final Fantasy II tout en ayant la possibilité de faire n'importe quel personnage. Une femme ou un homme qui peut manier une épée et lancer des sorts, quelque chose comme ça. D'un autre côté, en laissant la possibilité aux personnages de faire les même actions, ils risquent de devenir identiques, ce qui n'est pas très amusant. Pour SaGa, je voulais incorporer ce genre de système, mais je voulais différencier les personnages afin qu'ils ne soient pas de simples clones. C'est ainsi que les races ont été conçues. Il y avait les monstres, des mutants et des humains. Tous avaient des caractéristiques à faire évoluer tout au long de l'aventure, mais ils avaient aussi des traits propres à leur race. Les humains étaient équilibrés et pouvaient porter de nombreux équipements. Les monstres, eux... J'ai oublié ce que les monstres pouvaient faire...

Ils changent lorsque qu'ils mangent de la viande.

Akitoshi Kawazu : Ah oui. Les mutants avaient de nombreuses compétences propres tout au long de l'aventure. Ainsi, ils étaient tous différents à la fin. C'était l'idée derrière le système de jeu de SaGa.


En regardant de plus près les jeux de la série SaGa, de Final Fantasy Legend à Romancing SaGa en passant par SaGa Frontier, ils sont vraiment tous différents. Quel est, selon vous, le thème commun à tous les épisodes ?

Akitoshi Kawazu : Les règles de chaque jeu peuvent être différentes, mais le thème commun, c'est la possibilité pour les joueurs de jouer selon leur envie. Leur donner la liberté de faire prendre une certaine direction au jeu, sans que cela n'interfère trop notre design. Je pense que c'est ce qui caractérise la série.

Après avoir développé la série SaGa, vous êtes revenu vers Final Fantasy pour travailler sur Final Fantasy XII et la série Crystal Chronicles. Qu'avez-vous inclus de votre expérience passée sur d'autres franchises dans Final Fantasy quand vous êtes revenu ?

Akitoshi Kawazu : Ce n'est pas parce qu'il s'agissait d'un Final Fantasy que je me suis dit « Il faut que ça sonne comme un Final Fantasy. » Je n'ai rien intégré qui provenait de SaGa, mais je voulais là encore donner davantage de liberté aux joueurs. En général, je ne me tiens pas à une certaine philosophie parce qu'il s'agit de Final Fantasy. C'est peut-être pour cela qu'il peut paraître un peu différent.

Vous n'avez donc pas conçu Cristal Chronicles en vous disant « Il doit y avoir des mages blancs et noir, des magies Soin X, et ce genre de choses. » ?

Akitoshi Kawazu : Non, il n'y avait pas besoin d'y intégrer ces éléments. En même temps, les RPG en ont toujours besoin. Si il y a des classes comme celles-ci, pourquoi ne pas les appeler « mage blanc et noir » ? Ceci dit, je ne pense pas que ces deux classes sont indispensables pour rendre un jeu intéressant.

Je n'ai pas encore eu l'occasion de jouer à Emperors SaGa, votre projet en cours. Pouvez-vous nous dire comment vous avez travaillé à l'adaptation du concept de SaGa pour un jeu sur mobile ?

Akitoshi Kawazu : J'ai le sentiment que je suis toujours dans une phase de recherche. Tout d'abord, le terme « jeu social » ne signifie pas la même chose au Japon qu'en Occident. Cela correspond surtout au phénomène des jeux sur mobile, assez spécifique au marché japonais. Je n'aurais pas vraiment pensé à combiner les traits d'un jeu social à SaGa par le passé. Je cherche encore quoi faire. Contrairement à d'autres franchises que nous développons, SaGa concentre davantage d'éléments propres aux combats entre joueurs que beaucoup de jeux oublient. L'idée de se battre contre un autre joueur n'est pas très répandue ici. Je pense que c'est précisément avec cela que je peux me démarquer de Final Fantasy Brigade, par exemple, qui est un autre de nos jeux mobile. C'est encore un peu tôt, mais je pense que ça peut très bien marcher.
Si ce genre d'entretien vous intéresse, notez que mon ami Jérémie de FFWorld publiera prochainement une traduction d'une autre interview, de Hiroyuki Itō cette fois.