Interview : rencontre avec Hajime Tabata

Le 01 novembre 2014 à 19:24 par Bastien 0 commentaire


Jeudi matin, nous étions invités par Square Enix France à venir rencontrer pour la première fois Hajime Tabata, réalisateur de Final Fantasy Type-0 HD et du très attendu Final Fantasy XV. « Je crois que c'est la première fois que je rencontre des responsables de sites communautaires occidentaux », nous indique-t-il. Quel honneur ! Vous allez le voir, cette entrevue, préparée et conduite en (bonne) compagnie de Jérémie, de Final Fantasy World, a été un véritable échange. Monsieur Tabata s'est révélé être l'un des créateurs les plus accessibles que nous ayons eu la chance de rencontrer en dix ans. Un très beau moment entre passionnés, à lire en intégralité ci-dessous.

Consultez l'intégralité de notre dossier « Hajime Tabata à Paris »
Monsieur Tabata, en 10 années chez Square Enix, vous avez développé de nombreux titres sur téléphones et consoles portables. En quoi votre approche était-elle différente pour ce jeu sur consoles de salon ?

Hajime Tabata : Naturellement, les jeux mobiles sont conçus pour des appareils que vous portez sur vous, auxquels vous jouez dans votre temps libre, et personne ne vous regarde jouer. C’est une expérience privée. Dans le cas d’un jeu sur console de salon, la différence est que vous y jouez dans une pièce avec, pourquoi pas, des gens autour de vous, de la famille par exemple. J’essaie donc de créer un jeu qui semble intéressant et attirant y compris pour les gens qui vous regardent jouer.

Il y a aussi la distance à laquelle vous regarderez le jeu. Dans le cas des jeux sur téléphones ou consoles portables, elle sera très courte. Mais sur console de salon, la distance sera probablement plus grande. Le gameplay lui-même ne changera pas, mais la façon dont vos yeux traiteront les informations affichées à l’écran sera différente. C’est une chose à laquelle nous devons vraiment prêter attention lorsque nous créons un jeu.

Mais comme c’est la première fois depuis très longtemps que je travaille sur un jeu pour consoles de salon, je me suis rendu compte qu’il est beaucoup plus facile de se sentir immergé dans un jeu quand la distance est courte. Il y a beaucoup plus d’informations visibles sur un écran de télévision, alors nous devons absolument trouver des astuces pour améliorer ce sentiment d’immersion qui se dissipe avec la distance.

Diriez-vous que développer Type-0 sur PSP était, disons, une « erreur » ? Et que la vraie expérience de jeu aurait dû être sur consoles de salon ?

Hajime Tabata : (Rires) Peut-être ! Mais au moment où le développement a commencé, je n’y avais pas réfléchi. Vous avez peut-être raison maintenant, mais quand j’ai préparé ce jeu, je voulais vraiment créer quelque chose de très différent de ce qui se faisait sur PSP à l’époque. Je pensais que ce serait une bonne idée de créer un Final Fantasy d’un type nouveau et révolutionnaire sur cette console. De plus, à ce moment-là, mon équipe de développement ne disposait pas d’un environnement travail sur consoles de salon, alors il aurait été difficile de le faire sur PlayStation 3 par exemple. Notre expérience se limitait aux jeux PSP, ce qui a beaucoup joué dans notre décision !


Final Fantasy Type-0 HD est un portage direct du jeu PSP, mais n’avez-vous pas été tenté de faire de grands changements en le transposant sur consoles de salon ?

Hajime Tabata : La première raison qui nous a poussés à remasteriser le jeu sur PlayStation 4 et Xbox One est que ces consoles sont très populaires auprès des joueurs occidentaux, alors c’était l’environnement idéal pour qu’ils profitent du jeu. Nous avons aussi reçu énormément de demandes de la part des communautés européennes et américaines pour que le jeu soit localisé dans ces régions, donc nous avons voulu y répondre en leur proposant l’expérience de jeu originale, puisqu’ils n’avaient pas pu en profiter dans leurs langues auparavant.

Mais quand nous avons commencé à le remasteriser, nous nous sommes dit : autant tout refaire ! Nous avons commencé à vouloir tout changer, ce qui est normal pour un développeur, je pense. (rires) Personnellement, j’aurais vraiment voulu étendre l’aire de jeu, pour pouvoir se battre dans une zone bien plus vaste. J’aurais bien ajouté un système de couverture, aussi, et peut-être changé légèrement la façon dont l’histoire est racontée. Mais je me suis dit que si nous changions cela, nous en ferions un jeu totalement différent. Nous avons sans doute bien fait de nous retenir et de laisser le jeu tel qu’il était à l’origine. Je pense d’ailleurs que Type-0 est un très bon jeu. J’ai vraiment hâte que les joueurs le découvrent sur leur télévision, et tout particulièrement les joueurs américains et européens. Cela dit, je compte bien reprendre dans FFXV toutes ces idées que j’ai pu avoir envie d’utiliser pour changer Type-0. J’espère donc que les joueurs verront une sorte de dualité entre ces deux jeux : l’original, et le nouveau dans lequel j’ai pu mettre toutes mes idées. (rires)

Les graphismes ont été remasterisés en HD, mais qu’en est-il de la bande son ?

Hajime Tabata : Là aussi, nous avons fait de gros efforts. Les musiques ont été remasterisées et refaites pour qu’elles aient une meilleure « présence » dans les haut-parleurs d’une télévision, car ceux-ci ne sont pas du tout comme ceux d’une console portable. Nous avons également modifié et ajusté tous les effets sonores et bruits de fond, pour qu’ils sonnent mieux sur une télévision. En plus, les sons graves ne s’entendaient pas très bien dans les haut-parleurs de la PSP. Ceux d’un téléviseur nous autorisent une plus grande amplitude de sons, ce qui donne bien plus d’impact.


En 2011, nous avons découvert que Square Enix avait déposé plusieurs noms, de Final Fantasy Type-1 à Type-10. Comptiez-vous vraiment créer plusieurs suites ? Est-ce toujours d’actualité ?

Hajime Tabata : (Rires) Rien de concret n’est prévu, mais j’ai effectivement envie de les faire. Avec Type-0, nous avons cherché à créer un nouveau type de Final Fantasy, en racontant l’histoire et en jouant autrement. Une expérience vraiment nouvelle. Square Enix a accepté de créer ce jeu, et si les fans l’apprécient et nous apportent leur soutien pour en faire un succès, alors nous pourrons faire un Type-1, ou un jeu comparable, avec de nouvelles idées.

Ce que j’ai voulu faire avec Type-0, c’était créer un RPG où vous ressentez fortement les émotions et la douleur des personnages, où les combats vous font frissonner tant vous donnez tout pour survivre. Je ne crois pas qu’il existe un autre Final Fantasy avec un tel impact émotionnel. Et pour que l’expérience semble la plus réelle et la plus innovante possible, ce serait une bonne idée de continuer sur une console de salon, pour mettre plus en valeur les émotions.

Une démo de FFXV sera disponible dans Final Fantasy Type-0 HD. Ces deux jeux sont-ils toujours autant liés à la mythologie Fabula Nova Crystallis, FFXV notamment, et ce même si beaucoup de changement sont survenus depuis 2006 ?

Hajime Tabata : Concernant Type-0, il n’y avait absolument rien de la légende du cristal lorsque nous avons commencé à travailler sur le jeu. C’est quand nous avons terminé la phase de préproduction que nous avons intégré cette mythologie, Fabula Nova Crystallis. Elle est donc pleinement intégrée à l’histoire et à l’univers du jeu.

Au sujet de FFXV, j’ai rejoint le projet au moment où il a été décidé de transformer Versus XIII en FFXV. À ce moment-là, la conception de l’univers était déjà bien avancée et la mythologie du cristal était très présente. Mais lorsque j’ai repris le projet, nous avons commencé à trier tous ces éléments en nous demandant lesquels étaient nécessaires, et lesquels pouvaient être enlevés ou mis en retrait. J’ai surtout voulu faire en sorte que le joueur ne se sente pas assailli par le vocabulaire trop pointu de la mythologie du cristal dès le départ. Vous n’aurez pas besoin de jouer à Type-0 ou aux jeux FFXIII pour apprécier le XV et vous n’aurez pas de concepts complexes à assimiler. C’est donc surtout en cela que j’ai voulu me détacher un peu de la mythologie. Elle n’en reste pas moins totalement inscrite dans l’ADN du jeu et de l’histoire. Mais par exemple, il n’y aura pas de l’Cie dans le jeu, contrairement à Type-0 et FFXIII.

Final Fantasy Type-0 raconte une histoire de guerre, de conquêtes et de trahisons. Avez-vous été inspiré par des œuvres ou des événements réels lorsque vous avez créé le scénario ?

Hajime Tabata : Eh bien, je ne me suis pas vraiment inspiré d’un événement historique précis. En fait, je suis un grand amateur d’histoire et j’aime beaucoup regarder les documentaires historiques à la télévision. Disons plutôt que je me suis inspiré de tout ce que j’ai appris au fil du temps, et que j’ai cherché à l’exprimer dans le jeu.


Quand on compare les graphismes du jeu PSP avec la version HD, on peut remarquer que la direction artistique a perdu sa teinte rouge, et que le jeu semble peut-être plus bleu. Était-ce voulu ?

Hajime Tabata : C’était voulu ! Ce jeu est profondément basé sur son réalisme et sur la crédibilité de ses environnements, alors nous avons essayé de produire une image qui soit photoréaliste. C’est d’ailleurs la même chose avec FFXV. Pendant que nous travaillions sur la remasterisation de Type-0, j’ai voulu que le style des graphismes se rapproche de FFXV. Nous avons essayé de faire en sorte que le style très fantastique et fictionnel des environnements devienne plus photoréaliste, pour mieux s’accorder à l’histoire.

C’est également une question de taille d’écran et de résolution. Par rapport à la PSP, un écran de télévision propose une plus grande gamme de couleurs, surtout en haute définition. Les contrastes sont bien plus visibles. Je pensais donc donner plus d’ampleur au jeu en offrant une plus grande variété de couleurs. Nous ne pensions pas que le résultat serait autant visible, mais manifestement, vous l’avez quand même remarqué ! Certains des membres de l’équipe ne l’avait pas noté, quand bien même ils travaillaient sur le jeu.

Y compris Yûsuke Naora, le directeur artistique ?

Hajime Tabata : Je lui ai justement demandé de faire ces changements. Il m’a répondu que personne n’allait le remarquer, pas même au sein de l’équipe de développement. On dirait bien qu’il s’est trompé. Quand il saura que vous l’avez remarqué, il sera sûrement très content. (rires)

Ce portage est nommé Type-0 HD, mais les jeux mobiles et PS Vita s’appellent Agito. Pouvez-vous expliquer ce changement ? N’avez-vous pas peur de créer de la confusion chez les joueurs ?

Hajime Tabata : Le tout premier jeu que nous avions imaginé sur téléphone portable s’appelait Agito. Mais quand nous avons décidé de le transformer et de changer de direction, nous avons voulu montrer que le jeu faisait partie d’une nouvelle série, et nous l’avons appelé Type-0. Cela dit, le nom d’Agito nous plaisait bien et il était associé à beaucoup de bons souvenirs pour nous, alors nous avons décidé que nous allions l’utiliser d’une manière ou d’une autre. Voilà pourquoi les deux cohabitent désormais.

Mais pour faire en sorte que les joueurs ne soient pas perdus entre ces différents noms, nous avons d’abord mis en avant Type-0. Au Japon, c’est lui qui est sorti en premier, alors les gens ont commencé à reconnaître ce nom. Nous avons pu nous permettre de changer de nom pour cet épisode parallèle car les gens savaient de quoi nous parlions. Ils avaient compris que c’était un nouvel épisode de cette série. Je pense que nous allons faire de même en Europe. D’abord, sortir la version HD de Type-0 pour que les gens se familiarisent avec elle, puis proposer Agito sous ce nom séparé. Nous pensons que cela plus facile à comprendre pour les joueurs.


Alors que notre entretien, déjà plus long que ce que nous avions espéré, devait toucher à sa fin, Hajime Tabata nous invite à rester assis. C'est maintenant lui qui posera les questions. Impliqué, à l'écoute, et surtout très accessible, il veut en savoir plus sur notre expérience avec la série, nos attentes et nos envies.

Hajime Tabata : Et maintenant, c'est moi qui ai une question pour vous. J'aimerais savoir ce que la communauté française attend de Final Fantasy. Si vous avez quelque chose à me dire, n’hésitez surtout pas. Je vous écoute.

Jérémie : En ce qui me concerne, j'ai une vision assez personnelle de Final Fantasy. Je ne m'intéresse pas beaucoup aux éléments récurrents. S'ils sont présents, c'est évidemment une bonne chose, mais le plus important est de rester visionnaire et de tenter de réinventer le genre RPG. En fait, je pense même que le mot RPG en tant que genre n'a plus tellement d'importance. Je préfère imaginer que ce sont de grandes aventures.

Hajime Tabata : Alors nous partageons presque la même vision !

Jérémie : C'est d’ailleurs ce que j'attends de FFXV. Une grande aventure, pas un jeu qui se sente obligé de répondre à tous les critères du RPG classique.

Hajime Tabata : Avec ce que vous dites, j’ai encore plus confiance dans ma démarche. Merci.

Jérémie : Cela dit, je dois vous prévenir que mon opinion n’est sans doute pas fréquente.

Hajime Tabata : Je n’en reste pas moins d’accord avec vous. Et vous ?

Bastien : En fait, nous partageons la même opinion.

Hajime Tabata : J'avais peur que vous me disiez le contraire. Je n'aurais pas su quoi dire ! (Rires)

Bastien : La situation est différente pour Type-0, car il n'était jamais sorti en Europe, mais je pense que les remakes de jeux ne sont pas importants. Beaucoup de gens réclament sans arrêt un remake de Final Fantasy VII. Nous, nous voulons de nouvelles aventures, de nouvelles histoires, de nouvelles expériences. C'est justement ce que vous semblez vouloir faire avec vos jeux.

Hajime Tabata : En continuant à faire des choses totalement nouvelles, les gens comprendront sans doute un peu mieux ce que signifient les remakes. Ne faire que des remakes n'aurait aucun intérêt. Nous devons aussi faire de nouveaux jeux.
Propos recueillis par Jérémie et Bastien pour FFRing et FFWorld.
Merci à Square Enix France pour avoir organisé cette rencontre.